Défi 101 jours

Comment faire le deuil d’une vie qu’on n’a jamais eue ?

Défi 101 jours – Jour 25

« Avec le recul, ce qui lui manquait le plus, c’était tout ce qui n’avait pas eu lieu. La mésentente de ses parents avait éloigné son père de la maison. Le prétexte était ces reportages au loin, en terres dangereuses. Évidemment c’était sa passion. Comprendre les rouages des conflits, les traduire en mots le plus justes, sans prendre parti pour aucun des adversaires. Ça demandait une vision globale des situations toujours très complexes. Cet esprit de rigueur, Victor en avait hérité, bien que lui, pour atteindre son but, il n’hésitait pas à dépasser un peu la ligne blanche. Si son père avait vécu, il aurait pu s’imprégner plus de ses valeurs. Dans les rares moments de complicité, ce père trop absent lui avait montré l’importance de l’esprit critique, de se mettre à la place des autres, de faire la part des choses entre ce qui lui appartenait et ce qui faisait partie de la vie de son interlocuteur. Il était un peu jeune pour comprendre, mais malgré tout il avait reçu cet enseignement, que sa mère s’était empressée de saboter. Elle qui n’avait de cesse de faire valoir l’égocentrisme et de mépriser la vie d’autrui.

Deux décennies plus tard, il se demandait quelle aurait été sa vie si son père avait été là pour lui donner une autre approche, une autre vision de la vie. Il l’aurait sans doute poussé à écrire, à peaufiner son talent, à ne jamais abandonner, à creuser le mondes idées. Il lui aurait prouvé qu’il est plus utile de développer son esprit que son portefeuille, sans négliger la matérialité. Il l’aurait guidé sur le chemin de la liberté de penser, plutôt que de suivre la masse, tout en essayant de comprendre la masse, tout en étant assez habile pour ne pas se mettre à l’écart, mais garder une juste distance. Victor s’était égaré, avec les influences qu’il avait reçues, qui ne correspondaient pas à sa nature profonde, mais il avait fallu ce détour de 25 années pour comprendre qu’il faisait fausse route. C’était sur les côtes bretonnes qu’il allait se retrouver, contre toute attente et sans même le vouloir, juste parce qu’il avait voulu se moquer d’un directeur d’école. »

Le Deuil invisible : quand la vie qu’on n’a pas eue nous hante

Parfois, la plus grande perte n’est pas celle qu’on voit, qu’on touche, ou même celle qu’on pleure clairement. C’est celle qui n’a jamais existé. Celle qui laisse derrière elle un vide silencieux, diffus mais profond, et qui finit par guider notre vie à notre insu. C’est exactement ce qu’expérimente Victor, mon personage.

Il souffre d’avoir perdu son père évidemment, mais ce père n’était jamais vraiment là. Reporter en terres dangereuses, absorbé par son métier, il était plus absent que présent, laissant Victor à la merci d’autres influences, notamment celle d’une mère égocentrique qui méprisait les valeurs altruistes que son père aurait pu lui transmettre.

Ce qui rend ce manque si poignant pour Victor, c’est précisément tout ce qui n’a pas eu lieu : les conversations qu’ils auraient pu avoir, les conseils qu’il aurait pu recevoir, les valeurs et les repères qui auraient pu le guider vers une vie plus authentique. Ce vide, Victor ne le mesure pleinement que deux décennies plus tard, quand il réalise que son existence entière a été façonnée par ce deuil invisible, cette absence qui, paradoxalement, pèse plus lourd que toute présence réelle.

Un vide existentiel, subtil mais tenace

Cette absence d’expériences partagées, d’enseignements reçus, se transforme peu à peu en un véritable vide existentiel. Car quand on ne sait pas exactement ce qu’on a perdu, il est difficile de savoir précisément ce qu’on cherche. Victor ressent cette sensation diffuse mais constante d’être incomplet, comme si quelque chose d’essentiel lui échappait toujours.

Ce vide existentiel n’est pas forcément spectaculaire. Il ne fait pas la Une des journaux, et ne suscite pas la compassion spontanée de ceux qui nous entourent. Il est pourtant réel, et influence silencieusement nos choix, nos relations, et surtout la manière dont on se perçoit soi-même. Victor passe ainsi une bonne partie de sa vie à chercher inconsciemment à combler ce manque, sans réussir à identifier clairement ce qu’il recherche vraiment.

La nostalgie d’un passé qui n’a jamais été vécu

Victor reconstruit mentalement l’image d’un père idéal. Un homme sage, critique, ouvert à la complexité du monde, capable de transmettre à son fils une liberté de pensée authentique, bien éloignée de l’influence maternelle destructrice. Mais cette image, Victor en est conscient, reste une projection. Il ne saura jamais si ce père aurait effectivement rempli ce rôle tant rêvé.

Ce deuil fantasmé, rempli d’idéalisations, est particulièrement insidieux : comment se remettre d’une perte qui n’a jamais eu lieu ? Comment avancer lorsqu’on porte en soi un manque perpétuel d’un idéal qui ne sera jamais vérifié ? Victor doit vivre avec ce doute permanent, cette interrogation sans réponse qui nourrit davantage son vide intérieur.

Le poids des influences négatives

En l’absence du père, la figure maternelle devient centrale, mais pas de manière positive. Sa mère représente une influence antagoniste à ce que Victor imaginait être les valeurs paternelles : elle lui inculque un égocentrisme prononcé et une certaine forme de cynisme vis-à-vis des autres. Cette influence négative crée un double vide chez Victor: non seulement il ne reçoit pas ce qu’il attendait de son père, mais il doit aussi subir activement des enseignements qui le dévient de sa nature profonde.

Cette dualité accentue le conflit interne en lui, générant un sentiment permanent de déséquilibre et d’errance identitaire. Ce conflit intérieur le pousse à s’engager dans des voies qui, au fond, ne lui correspondent pas vraiment, mais auxquelles il adhère faute de repères plus authentiques.

Trouver son chemin malgré tout

Pourtant, cette histoire montre que le vide existentiel, même s’il est profond, n’est pas irrémédiable. Victor finit par prendre conscience, au bout de vingt-cinq ans d’errances, qu’il a suivi une route qui ne lui correspondait pas. Une prise de conscience tardive, certes, mais salvatrice, qui l’amène à se rapprocher de ce qu’il est vraiment, presque par accident, sur les côtes bretonnes.

C’est en effet un événement anodin, presque une coïncidence, qui provoque cette prise de conscience : une simple moquerie envers un directeur d’école déclenche un mouvement intérieur profond. Cela illustre parfaitement comment parfois, les changements profonds surviennent dans les moments les plus inattendus, souvent à notre insu.

Il comprend alors que cette absence, bien que douloureuse, lui a paradoxalement permis d’identifier ce qui lui manquait réellement : une authenticité, une proximité avec des valeurs humaines essentielles, une forme de simplicité retrouvée. Cette prise de conscience constitue déjà une victoire contre le vide existentiel qu’il portait depuis toujours.

Accepter l’absence pour mieux vivre

Finalement, Victor nous enseigne une chose essentielle : faire le deuil de ce qui n’a pas eu lieu est un processus nécessaire pour combler le vide existentiel. Accepter que l’on puisse regretter ce qui n’a jamais existé, c’est commencer à se reconnecter à soi-même, à ses véritables aspirations, pour enfin écrire sa propre histoire, sans regrets excessifs mais avec une conscience aiguë de ce qu’on veut vraiment être.

Alors, même ce deuil invisible devient une opportunité précieuse, celle de découvrir et d’habiter pleinement qui nous sommes, au-delà de toutes les absences. Victor nous montre qu’il n’est jamais trop tard pour se réinventer, pour revenir à soi-même et donner enfin du sens à cette vie qu’on pensait avoir perdue.

Que faire pour apaiser ce deuil ? Écrire !

Dialoguer avec l’absent

L’objectif de cette proposition est d’adoucir le deuil de ce qui n’a pas eu lieu en donnant une voix et une présence symbolique à l’absence pour combler manque, au moins un peu, et diminuer la sensation de vide existentiel.

Comment faire ?

  1. Création du contexte :
    Installez-vous dans un lieu calme, et prévoyez au moins une heure d’écriture sans interruption. Commencez par écrire une courte introduction décrivant précisément où et quand ce dialogue imaginaire a lieu. Choisissez un lieu symboliquement fort ou apaisant : un bord de mer, une montagne, un lieu d’enfance, une maison rêvée ou un endroit que vous affectionnez particulièrement.
  2. Présentation du personnage absent :
    Décrivez votre personnage absent – celui qui représente ce vide – avec détail et sensibilité. Prenez le temps d’imaginer sa voix, ses gestes, son regard, son attitude générale. Précisez ce que vous ressentez face à cette apparition imaginaire, comment votre personnage principal – ou vous-même – réagissez à cette rencontre impossible.
  3. Le dialogue fictif :
    Engagez une conversation libre entre votre personnage principal et cet absent. Ce dialogue fictif doit être aussi authentique et intime que possible. Posez toutes les questions qui vous hantent depuis longtemps, exprimez les regrets, les attentes, les frustrations, et laissez aussi l’autre répondre librement. L’idée est de laisser parler l’inconscient et l’intuition, sans chercher à trop rationaliser ou censurer ce qui vient spontanément.
  4. Les enseignements imaginaires :
    Permettez à votre personnage absent de livrer des conseils, des leçons de vie, ou simplement des pensées positives et inspirantes. Imaginez comment cet absent aurait pu transmettre ce qui vous a précisément manqué : valeurs, encouragements, confiance, réconfort, sagesse, etc.
  5. La conclusion du dialogue :
    Terminez en exprimant explicitement ce que ce dialogue imaginaire vous a apporté. Écrivez une réflexion finale où vous expliquez comment cette rencontre fictive avec l’absence vous permet de mieux comprendre votre vide existentiel et d’entamer un processus d’apaisement.

Pourquoi cet exercice fonctionne :

  • Donner une voix au manque permet de mieux identifier ce qui précisément fait défaut.
  • Créer un dialogue imaginaire aide à externaliser et symboliser le conflit interne, rendant ainsi le manque plus gérable émotionnellement.
  • Projeter les enseignements absents permet de compléter symboliquement ce vide existentiel par des messages positifs et structurants.
  • La dimension fictionnelle protège et libère émotionnellement, car elle offre une distance sécurisante pour explorer en profondeur ces sentiments sensibles.

N’hésitez pas à répéter régulièrement cet exercice ou à le retravailler sous d’autres formes . Ça pourra progressivement vous aider à transformer ce deuil invisible en une ressource intérieure apaisante, porteuse de sens et de compréhension nouvelle.

Et puis dites-moi en commentaires ce que ça vous fait 😊

Si vous avez aimé l'article, vous êtes libre de le partager :-)

2 commentaires

  • Véronique

    Merci Caroline pour cet article très juste à mes yeux.
    Faire le deuil d’une vie qu’on n’a jamais vécue… quelle vérité silencieuse…
    Ta manière d’aborder ce vide avec les outils de la fiction-thérapie ouvre une brèche douce et puissante à la fois.
    Par l’imaginaire, tu redonnes une voix à ce qui n’a jamais eu le droit d’exister. Et rien que ça, c’est déjà une forme de guérison. Merci. 💔📖

  • Globetherapie

    Tu as mis des mots très justes sur une douleur qu’on peine souvent à reconnaître : le deuil de ce qui n’a pas eu lieu. C’est un sujet rarement abordé avec autant de finesse, et pourtant si universel. On parle souvent de ce qu’on perd, mais si peu de ce qu’on n’a jamais eu la chance de vivre, alors que ce manque peut nous modeler en profondeur. Merci Caroline pour ce partage riche et sensible. 😊

Laisser un commentaire