Défi 101 jours

Comment écrire la manipulation sous couvert de regret

Défi 101 jours – Jour 5

«Mon cher fils, si seulement je t’avais tout dit. Tu étais tellement petit et perdu et j’ai toujours voulu te protéger. Tes grands yeux bleus, ton regard et ta bouche privés de joie et de sourire. Ta détresse me fendait le cœur. Dès que je t’ai vu, j’ai eu envie de t’aimer, de te protéger de ce monde parfois cruel et de te faire oublier les horreurs que tu venais de vivre.

Je voulais que tu sois à moi, que tu n’aies pas envie ni besoin de connaître ta famille biologique. C’est vrai, j’ai tout fait pour que tu les oublies. Ça a bien marché jusque là, et de ça, je n’ai pas de regrets. Mais maintenant, ce que je redoutais le plus est arrivé. J’aurais voulu être plus habile encore, plus aimante pour que tu ne tiennes qu’à moi, à nous, ta vraie famille.

Je n’ai de regrets de ce que j’ai fait que parce que maintenant ça se retourne contre moi, mais je ne regrette pas de t’avoir donné une enfance heureuse, une adolescence suffisamment libre pour que tu vives ta vie. Je regrette que ton passé te saute à la figure par je ne sais quel sort malencontreux. J’aimerais que rien de tout ça ne soit arrivé, j’aurais voulu que tu sois mon fils depuis le début, que rien ne te dépare de moi. »

Les blessures de l’âme

En écrivant cette lettre fictive écrite par sa mère adoptive à mon héros, je me suis surprise à créer ce glissement, du regret sincère de la vérité cachée, au regret bien égoïste que la situation se retourne contre elle : ce n’est pas tant son fils qui l’inquiète, mais elle-même. Ce qui la tourmente, ce n’est pas la souffrance qu’elle a causée, mais le fait que les choses ne se soient pas passées comme elle l’avait prévu.

Cela montre bien que le regret intéressé n’est pas un véritable remords, mais plutôt le constat amer que les manipulations n’ont pas donné le résultat voulu. La mère a perdu le contrôle de la situation. Ça m’a fait penser aux Cinq blessures de l’âme, décrites par Lise Bourbeau. Comment ces blessures façonnent-elles nos comportements et nos relations, même avec les meilleures intentions du monde?

Regret sincère ou peur du rejet ?

À première vue, cette mère semble exprimer un profond regret : elle reconnaît avoir voulu protéger son fils, peut-être trop, au point de lui cacher une partie essentielle de son histoire. On pourrait presque y voir un sacrifice maternel, un geste d’amour poussé à l’extrême. Mais rapidement, le ton change. On passe du regret sincère à une frustration face à la perte de contrôle :

« Je n’ai de regrets de ce que j’ai fait que parce que maintenant ça se retourne contre moi. »

Autrement dit, ce qu’elle regrette n’est pas tant d’avoir privé son fils de la vérité, mais que ce mensonge ait fini par lui échapper. Son réel tourment n’est pas la douleur de son fils, mais sa propre souffrance face aux conséquences de son choix.

Derrière cette attitude, on retrouve les traces la blessure d’abandon. Une personne marquée par cette blessure a une peur viscérale d’être laissée de côté, d’être jugée insuffisante. Ici, la mère a voulu construire une relation fusionnelle avec son fils, au point de vouloir effacer toute autre attache possible. Son comportement traduit une dépendance affective masquée sous une volonté de protection. Elle ne veut pas seulement l’aimer, elle veut qu’il ne puisse aimer qu’elle.

De la protection à la manipulation

« Je voulais que tu sois à moi, que tu n’aies pas envie ni besoin de connaître ta famille biologique. »

Là on quitte alors complètement le terrain de l’altruisme pour entrer dans une volonté d’appropriation. La blessure d’abandon est souvent accompagnée d’une blessure de trahison, qui pousse à vouloir contrôler les situations et les relations. Lorsqu’une personne blessée dans son passé craint d’être abandonnée, elle peut chercher à s’assurer que l’autre ne s’éloignera jamais. Et pour cela, quoi de mieux que d’effacer tout ce qui pourrait le relier à un ailleurs ?

Ce type de manipulation n’est pas toujours conscient. Il ne s’agit pas nécessairement d’une volonté malveillante, mais d’une peur incontrôlable de perdre l’autre. Cette mère ne veut pas seulement être aimée : elle veut être l’unique source d’amour et de stabilité dans la vie de son fils. Et c’est là que réside la vraie manipulation: en déguisant ce besoin personnel sous une apparence de bienveillance.

Le piège du regret intéressé

Dans ce texte, le regret se déplace. Au début, il semble dirigé vers le fils (« Si seulement je t’avais tout dit… »), puis il glisse subtilement vers la mère elle-même (« Je regrette que cela se retourne contre moi. »). Ce type de regret est caractéristique des personnes marquées par la blessure de trahison : elles ont du mal à accepter que leur stratégie de contrôle ait échoué. Lorsqu’elles perdent la main sur une situation, elles ressentent une forme de frustration et de trahison… par la vie elle-même. Plutôt que d’admettre que le mensonge était une erreur en soi, la mère regrette simplement qu’il n’ait pas mieux fonctionné. Et pourtant, au départ, ses intentions n’étaient que bienveillance et altruisme.

Ce texte est fictif, je le répète, et écrit à toute vitesse, presque comme de l’écriture automatique. Je constate toujours plus à quel point la fiction se révèle presque d’elle-même, et que mes personnages vivent leur vie, sans trop me demander mon avis. C’est parfois flippant, surtout quand je vois ce que ça donne.

Si ce texte était écrit par quelqu’un d’autre, je me dirais que l’auteur devrait se poser des questions sur ses propres blessures, et faire un sacré travail personnel ! 😉 Mais ça ce serait un jugement (tiens, ça me donne des idées pour un prochain article…)

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Un commentaire

  • Gaëlle Dobignard

    Je me retrouve complètement dans cette crainte/peur de l’abandon. Un gros travail a faire encore de ce côté là, pour m’en libérer complètement.
    C’est vraiment fou, tout ce que tu décortiques dans chaque article !! J’adore !

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