Pourquoi la peur peut être un moteur d’action
Défi 101 jours – Jour 1
« Lucy suivait le lacet de la route, un peu hypnotisée, dans la lumière du soir. Le moment aurait pu être parfait. Les bruyères rosissaient sur les coteaux et la masse des Highlands se détachaient du ciel dans tout leur puissance. En d’autres circonstances, elle aurait admiré ce paysage grandiose, énorme. Mais dans l’instant, c’est l’insécurité qui l’habitait. Ses mains, un peu moites, tenaient le volant presque sans force. Sa respiration était courte, difficile, ses narines serrées peinaient à laisser passer l’air autant pour entrer dans ses poumons que pour l’exhaler. Ces derniers semblaient compressés comme si un des rochers qui l’entouraient l’écrasait de tout son poids. Son pied sur l’accélérateur tremblait et à mesure qu’elle avançait, il lui semblait que l’énergie la quittait. Elle ralentit.
Cette sensation ne l’habitait pas souvent. Elle avait plutôt l’habitude d’avancer dans la vie la tête haute et son GPS intérieur la guidait vers ses objectifs. Mais là, dans l’instant, elle se sentit battue par l’adversité. Et si elle ne découvrait jamais la vérité ? Et si la mort de son père restait une énigme sans solution ?
Cette pensée qui la taraudait depuis quelque temps se faisait aujourd’hui beaucoup plus précise. Les pièces du puzzle se mettaient en place, mais plus elle avançait, plus elle se demandait où ça la mènerait et si elle n’allait pas se trouver le nez au mur sans pouvoir aller au-delà… »

Ce que révèle l’inconscient
En écrivant ce texte, j’ai réalisé à quel point la peur ne se limite pas à un simple ressenti passager. Elle porte en elle des strates plus profondes, parfois ancrées dans l’histoire personnelle, parfois dans des schémas inconscients qui façonnent notre manière d’être au monde. Ce qui s’est exprimé à travers mon personnage, c’est une angoisse de l’inconnu, une peur de l’impuissance et du non-contrôle, une sensation de se heurter à un mur sans échappatoire. Comme si ne pas savoir, ne pas comprendre, revenait à perdre pied totalement.
Derrière cette peur brute se cache aussi un besoin : celui de sécurité, de repères, de maîtrise sur les événements. L’incertitude peut être vertigineuse, car elle touche à quelque chose de plus profond encore : la solitude existentielle, la peur d’être abandonné, de ne pas avoir de prise sur son propre destin. Ce qui est fascinant, c’est que ces émotions, bien que vécues intérieurement, influencent directement nos actions, nos décisions, nos relations. Nous cherchons sans cesse à réduire cette insécurité, parfois en évitant les situations inconfortables, parfois en cherchant frénétiquement à tout comprendre et anticiper.
Si Lucy, mon personnage, était toujours guidée par sa peur, on pourrait dire d’elle qu’elle correspond à l’ennéatype six. Mais ce serait une simplification.
L’ennéagramme, c’est quoi?
L’ennéagramme est un modèle de personnalité qui décrit neuf grands archétypes, les ennéatypes, chacun structuré autour d’une motivation fondamentale. Il ne classe pas simplement les gens en « cases », mais met en lumière les mécanismes internes qui les poussent à agir, ressentir et penser d’une certaine manière. Ce qui est fascinant, c’est que chaque ennéatype développe des stratégies pour répondre à ses peurs et besoins profonds, ce qui peut se traduire par des comportements très différents en fonction du contexte.
Le type 6, par exemple, est souvent décrit comme le Loyaliste, mais peu importe le nom qu’on lui donne. Son moteur principal est la sécurité : il cherche à anticiper les dangers, à s’appuyer sur des repères fiables, et à naviguer dans un monde perçu comme incertain. Cela ne signifie pas que toutes les personnes qui ressentent la peur appartiennent à cet ennéatype — tout le monde éprouve de l’anxiété à différents degrés — mais que chez les 6, cette peur est structurelle, omniprésente, et qu’elle influence profondément leur manière d’être au monde.
Quand la peur devient un prisme
En écrivant ce texte, j’ai perçu à quel point nos pensées façonnent nos ressentis. Mon cerveau, bien que conscient d’être en sécurité, a réactivé des sensations que j’ai déjà connues dans d’autres contextes réels. Ce simple exercice d’écriture m’a rappelé que nos émotions ne sont pas seulement des réactions au monde extérieur, mais aussi à nos propres constructions mentales.
Le type 6 incarne bien cette réalité. Là où certains fuient la peur, lui l’anticipe, la dissèque, cherche à la contourner ou à la maîtriser. Son esprit est un scanner permanent des risques, un radar en alerte, qui lui permet de prévoir l’imprévu et d’être souvent d’excellents stratèges. Mais cette hypervigilance a un prix : elle peut générer une paralysie face à l’incertitude, une remise en question constante, un besoin de réassurance qui ne trouve jamais totalement satisfaction.
Alors, comment faire de cette peur une alliée plutôt qu’un frein ?
Transformer la peur en force
La peur est une énergie brute. Elle peut nous enfermer dans l’inaction, comme elle peut nous pousser à développer des stratégies intelligentes pour faire face aux défis. Dans le cas du type 6, lorsqu’il apprend à faire confiance – en lui, en la vie, en ses ressources – il devient un modèle de courage et de lucidité. Son questionnement permanent, au lieu d’être un obstacle, lui permet d’anticiper avec finesse et d’agir avec prudence mais efficacité.
En revenant à mon exercice d’écriture, je me rends compte que je pourrais très bien réécrire l’histoire de Lucy sous un autre prisme. Que se passerait-il si, après avoir été submergée par la peur, elle trouvait en elle une source de confiance et d’ancrage ? Et si, au lieu de se laisser dominer par l’incertitude, elle décidait d’en faire un levier pour avancer ?
Dans la vie comme dans l’écriture, notre regard façonne notre expérience. Peut-être que la clé n’est pas de ne plus ressentir la peur, mais d’apprendre à l’apprivoiser pour qu’elle devienne un moteur plutôt qu’un frein.