Victor est en train de tomber de son piédestal
Victor

J’ai mis mon ego dans un roman. Il n’a pas survécu.

J’ai écrit un roman. Une daube.

Non, vraiment, je ne suis pas en train de me flageller. En l’état, mon roman est bancal. C’est un puzzle de pièces qui ne s’assemblent pas. Pour le moment. Parce qu’après une phase de re-travail intense, ce sera au point.

Comme l’idée de fiction-thérapie m’est venue pendant l’écriture de ce roman, j’ai décidé de le relire au scanner, en reprenant mon texte morceau par morceau, pour voir si ça me révèle des aspects de moi que je ne vois pas. Et ce que je peux faire pour peut-être transformer quelque chose.

En voici le début, tu vas voir (ça commence fort).

« Seize minutes. 
L’entretien a duré seize minutes pour le licencier après seize ans de boîte. 
Seize ans de bons et loyaux services, seize ans de travail acharné, de longues journées. 
Seize ans de stratégie pour gravir les échelons, monter dans ma hiérarchie et faire payer aux plus jeunes ou moins gradés tous les sacrifices qu’il a dû faire pour en arriver là. 
Seize minutes pour l’éjecter de son poste, de son prestige, de ses privilèges. 
Seize minutes pour entendre que Legros prend sa place…
« 

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C’est qui ce Legros? Un bon père de famille qui porte bien son nom, suralimenté par une femme au foyer. À la quatorzième minute, il ne s’est plus retenu. Il a explosé et craché deux, trois choses qu’il avait à dire sur cette boîte ingrate qui n’a ni management, ni ménagement pour ses employés. À la seizième minute, c’est lui qui est parti en claquant la porte. Il a voulu prendre sa voiture au parking, mais l’ordre avait déjà été donné de lui en bloquer la sortie. Il l’a donc laissée juste devant la barrière, histoire d’en emmerder quelques autres au passage. Il valait sans doute mieux qu’il ne conduise pas dans cet état. Même à pied, il y avait un risque, ses orteils se souvenaient du coup qu’il avait lancé de toutes ses forces dans la roue. 

La rage au coeur, il était parti à pied sans direction précise, incapable de voir le printemps autour de lui. Pourtant l’air était doux, le soleil commençait à chauffer et les arbres en fleurs ajoutait une touche colorée inhabituelle au gris de la ville. Malgré le tumulte parisien, on pouvait entendre le gazouillis des oiseaux. Victor était complètement imperméable aux sollicitations du printemps. Il repassait en boucle la scène qu’il venait de vivre. L’appel de la DRH qu’il attendait vaguement, auquel il avait répondu avec satisfaction. Elle allait enfin lui confirmer qu’il prenait la tête du nouveau département résultant de la fusion. Il était arrivé dans son bureau débordant de confiance, prêt à recevoir sa promotion. 

Cette conne l’avait invité à s’asseoir d’un ton un peu condescendant, à son habitude. Garcia, son N+1 était là aussi, rien que de très normal. En revanche, la présence du psy à lunettes rondes, gros pull et cheveux un peu gras l’avait surpris. Pas de quoi être stressé par une promotion, si? Cette sadique de DRH l’avait attaqué de front: la direction avait décrété que son poste était redondant et que les affaires réglementaires seraient dirigées par Legros, son homologue provenant de la société absorbée. Il était prié de ne plus toucher son ordinateur, de rassembler ses affaires et de dégager. Ce n’était pas le mot utilisé, mais le ton en disait long. Il avait trente minutes. Victor en était resté muet et elle en avait profité pour insister sur le fait que son équipe manquait d’initiative et n’avait pas atteint ses objectifs. 

Évidemment, c’est ce qu’il fallait attendre de cette bande de crétins incapables. Pourtant il les menait à la baguette, mais pas moyen d’en tirer quoi que ce soit.

Victor, l’arrogance et moi

Ce qui m’a sauté aux yeux, quelque temps après l’écriture, c’est l’arrogance de ce personnage, sa façon de regarder les autres de haut. Donc je me suis posé la question : suis-je comme ça moi aussi ? Le parallèle direct est peut-être trop rapide, alors j’ai dialogué avec ChatGPT pour creuser la question.

Au fil de la discussion, une autre question a émergé, plus large, plus dérangeante :

Pourquoi écrit-on des personnages arrogants ? Pourquoi cette posture méprisante, si difficile à lire parfois, est-elle si fréquente en fiction ?

Je ne parle pas ici d’un « méchant bien ficelé » (parfois tellement sympathique!), mais de ce ton intérieur que certains personnages (peut-être les nôtres ?) adoptent : ils regardent les autres comme des obstacles, des imbéciles, des masses molles incapables de suivre. Ce regard qui dit : « Je suis au-dessus. Je vaux mieux. »

Est-ce qu’on projette ça, parfois, en écrivant ? Est-ce qu’on le vit, silencieusement, en nous-mêmes ?

Et Mr. Darcy ?

Cette tension m’a rappelé une autre figure : Mr. Darcy, dans Orgueil et Préjugés. Lui aussi entre dans le roman enfermé dans sa supériorité sociale, convaincu que sa valeur est une évidence. Il ne regarde pas, il juge. Et puis, à force de confrontation à l’autre (Elizabeth), il se découvre imparfait. Il descend de son piédestal non par défaite, mais par lucidité. 

Victor n’en est pas là. Il chute, avec indignation, avec toute la rigidité de son orgueil, et comme il se raidit dans la chute, la réception est brutale. Mais même ça, il ne le sait pas encore, parce que ça va durer un certain temps. Et pour ne pas perpétuer sa douleur, quelque chose devra changer.

Mais alors, écrit-on l’orgueil et les préjugés pour s’en débarrasser, pour en rire, pour mieux le comprendre ?

Exploratrice, pas experte

Je ne viens pas ici avec une réponse toute faite. Je n’ai pas de grille d’analyse psychologique en six étapes et encore moins de schéma à imprimer. Ce que je fais ici, c’est explorer ce que la fiction me renvoie. J’avance à tâtons, avec des textes maladroits, des personnages qui m’échappent, des scènes qui me dérangent parce qu’elles en disent trop,  ou pas assez.

Et dans ce processus, je remarque que la fiction m’aide parfois à voir ce que je ne voudrais pas que quelqu’un me dise en face.

Ce que Victor m’a jeté à la figure

Mon personnage est un homme humilié, licencié, qui perd son pouvoir et sa contenance en seize minutes. Mais avant cela, il a passé des années à mépriser les autres. À exiger la reconnaissance, à justifier sa dureté par ses sacrifices. Il est en colère, il est blessé, et il regarde tout le monde de haut pour ne pas avoir à se regarder lui-même.

Et là, la vraie question m’est tombée dessus :

Combien de fois dans ma propre vie ai-je eu besoin d’avoir raison, d’être vue, d’être applaudie pour simplement croire que j’avais de la valeur ? Est-ce que je me suis déjà cachée derrière des jugements pour éviter de voir ma propre médiocrité ?

La médiocrité comme point de fracture et de transformation

Et si on osait dire ce mot-là : médiocrité ? Pas pour se flageller, ni par fausse modestie. Juste pour reconnaître que parfois, on fait les choses à moitié. Qu’on s’épuise à vouloir être exceptionnel. Qu’on échoue à être brillant, mais qu’on continue d’avancer quand même. Est-ce que ce n’est pas là qu’on commence à toucher quelque chose de vrai ?

Victor, lui, ne se transforme pas encore. Il continue de tomber. Il s’accroche à sa colère comme à une dignité blessée. Il refuse de voir qu’il a contribué à sa propre chute. Il refuse d’admettre qu’il a manqué d’humanité. Qu’il s’est cru au-dessus. Cette chute, il ne la vit pas comme un réveil. Il la vit comme une injustice.

Et pourtant, c’est là que ça commence. Pas dans l’acceptation, mais dans la résistance, le refus, l’indignation. C’est moche. C’est sale. C’est humain. Et parfois, ça suffit pour ouvrir une première fissure.

Habiter sa vie, sans surjouer

La transformation de Victor, l’avenir nous dira s’il y en a une, ne se joue pas dans un sursaut héroïque. Il ne fait pas un voyage initiatique, il ne sauve personne, il ne se rachète pas. Il n’en finit pas de chuter, il s’effondre, il s’observe, il tente, il rate, et il recommence. Et encore, on n’en est pas encore là.

Mais peut-être que c’est justement à travers ses échecs, ses petitesses et ses solitudes qu’il commencera à habiter sa vie. Pas celle qu’il avait rêvée, ni celle qui impressionne. Sa vie à lui. Telle qu’elle est.

Peut-être que c’est ça, au fond, qui rend quelqu’un exceptionnel : la capacité à ne plus surjouer. À ne plus chercher à valider son existence en permanence. À exister sans bruit. Sans fard. Sans Instagram.

Une FAQ perso 

Si la fiction est révélatrice de ce qu’on veut parfois cacher, elle est peut-être aussi transformatrice, tout en douceur et toujours par le biais de nos personnages. Peut-être qu’on pourrait se poser des questions sur nos personnages (et ça fera peut-être écho chez nous): 

  • Mon personnage a-t-il déjà eu besoin de faire plus, de prouver, pour se sentir à la hauteur ?
  • Est-ce que son arrogance, son mépris sont parfois des défenses contre une peur plus intime, un manque de reconnaissance ou une fragilité non exprimée ?
  • Et s’il n’essayait pas de changer, mais juste de se voir tel qu’il est ? Est-ce que ce ne serait pas déjà une transformation ?

En guise de conclusion

Aucune volonté moralisatrice dans ces paragraphes. Il se fait que je tombe là-dessus à cause de ce cher Victor, mais j’ai trouvé l’exercice du questionnement intéressant. Et ça m’invite à habiter ma vie telle qu’elle, sans chercher à la modifier, ce qui ne m’empêche pas de me demander comment je peux la rendre plus agréable, pour moi d’abord, pas pour avoir l’air « mieux » que mes semblables.

Ça m’interroge aussi sur la transformation de mon personnage, qui, elle, ne peut pas être immédiate, sinon il n’y a plus d’histoire. Et puisqu’on en est qu’au début, je m’interroge aussi sur la transformation de l’auteur (moi ;-)). Au bout du compte, il y aura certainement la satisfaction d’avoir tenu le défi et la fierté d’être arrivée à boucler ce projet. Parce qu’écrire un premier jet, c’est toute une aventure et le rendre lisible, c’en est une autre. 

Et c’est le défi que je me lance pour cette rentrée.

Et toi? Dans quel projet potentiellement transformateur tu te lances en ce début de mois de septembre? Dis-moi tout en commentaire !

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2 commentaires

  • Dieter

    Ce qui a le plus retenu mon attention dans cet article, c’est la qualification de M. Darcy par Jane Austen comme étant orgueilleux et méprisant, alors que cela est effectivement indiqué dans le titre du livre, Pride and Prejudice. Je dois toutefois admettre que cet aspect m’a complètement échappé lors de ma lecture.

    Pour moi, cela n’était pas qu’un aspect courant de la vie sociale de l’époque.

    Pour ma défense, j’ai aussi envie d’argumenter que ce n’était pas le titre initial qu’Austen avait choisi (qui était First Impressions) et qu’elle ne l’avait finalement repris que d’Edward Gibbon, dont Decline and Fall of the Roman Empire était très populaire à l’époque.

    Mais peut-être devrais-je réviser mon jugement.

    Merci pour toutes ces explications !

    • Caroline

      Merci pour le commentaire, Dieter. A vrai dire, je ne sais plus si Jane Austen qualifie son personnage d’orgueilleux et méprisant, mais c’est ce qui ressort de son attitude en tout cas, et c’était en effet la posture des artistocrates par rapport aux personnes qui n’appartenaient pas à leur caste. Par ailleurs, j’expose mon point de vue dans l’article et ce n’est pas nécessairement la vérité. Votre lecture est parfaitement valable 🙂

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