un calendrier sans fin et de hautes montagnes qui représente un défi impossible et intransigeant.
Révolte

Comment abandonner un défi et survivre (quand même)

Je m’étais donné 101 jours. 101 textes de fiction, suivis d’un petit regard psy, et d’une pratique d’écriture pour celles et ceux qui aiment souffrir avec style. Un défi calibré, exigeant, inspirant. Le genre de projet qui coche toutes les cases : rigueur, créativité, discipline, transmission.

Spoiler alert : j’ai abandonné. Et pas après 98 jours, genre presque au bout, non non. Bien plus tôt. J’ai d’ailleurs déjà fait un constat d’imperfection après quinze jours. Et j’ai envie de dire merci. À moi. À mon système nerveux. À mon incapacité chronique à me plier à des formes mortes.

Parce que j’ai appris que l’abandon, loin d’être une fuite, peut être une déclaration de souveraineté intérieure. Et que parfois, ne pas aller jusqu’au bout, c’est précisément ce qui te permet de retrouver ta direction. Au passage, je me lance dans le tutoiement, ça fait partie de la révolte du jour…

Le culte de la persévérance : une religion moderne

On vit dans une époque qui romantise la souffrance élégante.

Tu veux créer ? Tu dois souffrir. Tu veux progresser ? Va au bout, même à genoux. Tu veux réussir ? Ignore ton corps, ton rythme, tes doutes : ce sont des parasites. C’est l’éthique startup appliquée au développement personnel : hustle, grind, repeat. On te colle des post-it « tu es capable », « fais-le quand même », « just do it » sur le front, jusqu’à ce que t’en oublies pourquoi tu fais ce que tu fais.

On a transformé la discipline en valeur morale absolue.
On a sacralisé l’endurance.
On a oublié que parfois, l’obstination est juste une peur maquillée : la peur d’admettre que ça ne marche pas, que ça ne fait plus sens.

Mais tu t’étais engagée !

Oui, et alors ?

Se réengager à chaque instant est plus difficile — et plus courageux — que de continuer juste par inertie.
Comme le dit Elizabeth Gilbert (autrice de Big Magic, et plus connue pour Mange, prie, aime) :

“Ne laisse pas ton ego diriger ta créativité. Il s’en fout de toi. Il veut juste finir ce qu’il a commencé pour pouvoir dire : ‘regarde, j’ai fini’.”

C’est exactement ça. Mon ego voulait un trophée. Un badge “101 jours de discipline créative”. Mais mon âme, elle, voulait respirer.

La honte de l’abandon : un poison culturel

Brené Brown parle beaucoup de la honte et de la vulnérabilité. Tu peux voir son TEDx ici (il y a des sous-titres disponibles en français). Et selon elle, le sentiment de honte émerge quand on pense être fondamentalement défectueux.

Tu ne vas pas au bout de ton défi → tu es instable.
Tu changes d’avis → tu es peu fiable.
Tu écoutes ton énergie → tu es paresseux.

Et si, en réalité, c’était le contraire ?
Et si écouter son rythme, son corps, son élan, c’était la vraie forme de maturité ?
Et si changer d’avis, c’était le privilège de celles et ceux qui pensent encore par eux-mêmes ?

Je ne parle pas ici d’abandonner au premier inconfort. Je parle de discerner : est-ce que je fuis un défi, ou est-ce que je quitte une prison ?

Sénèque et la sagesse du pivot

Le philosophe stoïcien Sénèque, ce roi du calme romain, disait :

“Ce n’est pas parce que tu as commencé que tu dois continuer. La constance est une vertu quand elle a un sens.”

Bon ok, il l’a dit en latin, mais le latin, c’est loin.
Ce que Sénèque pointe, c’est que le continuum n’est pas la finalité. Le sens, l’intention, l’ajustement : voilà la vraie vertu.

Continuer à écrire juste parce que j’ai dit que je le ferais, alors que le feu intérieur est devenu une routine tiède ? Et surtout épuisante ?
Non merci. J’ai mieux à faire de mon vivant.

Ce que j’ai appris en m’arrêtant

  • J’ai vu que ma créativité ne se nourrit pas de quotas.
  • J’ai compris que l’introspection ne devrait pas être une production à la chaîne.
  • J’ai réalisé que créer un contenu sincère demande du vide, du flou, du temps perdu.
  • Et j’ai surtout senti que mon besoin de transmission, lui, est toujours là. Juste… pas sous cette forme-là. Pas avec cette cadence militaire. Donc je vais continuer, même si ça prend deux ans.
  • Je veux aussi tenter autre chose (podcast, vidéo… l’avenir proche — ou lointain — nous le dira).

Et toi, tu continues quoi, là, juste parce que tu as peur d’arrêter ?

Oui, je te regarde. Toi et ton projet que tu détestes (parfois).
Toi et ta routine que tu traînes comme un sac mort.
Toi et ton “non mais j’ai commencé, donc faut que je termine.”

Non. Tu ne dois rien. Pas à Internet. Pas à tes abonnés. Pas à ton “toi d’avant” qui était surexcité et naïf (ça vaut aussi pour les femmes, mais je hais l’écriture inclusive).

Tu peux arrêter. Changer de cap. Revenir à toi. Et ça, c’est peut-être la chose la plus puissante que tu puisses faire pour ta créativité.

Pour écrire quand même : l’abandon fécond

Imagine un personnage qui abandonne quelque chose qu’il voulait depuis longtemps. Ce qu’il croyait être un échec s’ouvre en fait sur une vérité plus vaste, plus libre.
Que découvre-t-il en renonçant ? Qui devient-il quand il n’est plus accroché à son image de persévérant ?
Spoiler : ce n’est pas triste, c’est glorieux.

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2 commentaires

  • Eva

    Merci pour cette invitation à se demander au final : « Quel est mon but ? » Je me suis sentie « visée » par ton article, moi qui ai lamentablement échoué mon défi de lire 2 essais pointus par mois. Grâce à toi je me rends comte qu’accepter de renoncer dans mon cas revient à lire vraiment, sans objectif qui bloque. Et, oui, c’est glorieux 🙏

    • Caroline

      Deux essais pointus par mois… 🙄 Parfois on oublie qu’on a une vie, un quotidien avec ses obligations. Et puis il faut aussi se détendre, un peu quand même, de temps en temps, pauvres humaines que nous sommes 😉Merci pour ton commentaire, Eva, et heureuse d’avoir contribué à ta prise de conscience 🙂

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