
Comment la fiction peut vous aider à transformer vos addictions
Défi 101 jours – Jour 24

Un texte de fiction un peu long, mais nécessaire pour dérouler les étapes…
« Un jour, alors qu’il s’apprêtait à attaquer une boîte de saucisses cocktail avec de la moutarde, il s’arrêta. La saucisse était à quelques centimètres de sa bouche. Il humait son parfum industriel légèrement fumé, il sentait la texture ferme entre ses doigts, l’aspect un peu plastifié de ce petit bout de viande qui sortait de sa boîte. Il salivait à l’idée du mélange à la fois doux et piquant de la saucisse et de la moutarde et anticipait le contact de ses dents avec la membrane qui craquerait légèrement quand il mordrait dedans à pleine dent.
La transe
C’était presque une transe, même s’il savait aussi que l’extase serait de courte durée, parce que le goût n’était quand même pas fantastique et qu’il faudrait répéter l’opération un certain nombre de fois pour trouver la satisfaction qui ne serait jamais totale. Le tout serait très rapide et il sentirait très vite son estomac alourdi par le mélange dont il ne voulait surtout pas connaître la composition. Après quoi, il se demanderait pourquoi une fois de plus il avait cédé à cette pulsion.
La petite saucisse toujours à proximité de ses dents, il eut la sensation que c’était un combat de deux forces puissantes, un combat des dieux, Zeus et Neptune, ou plutôt David face à Goliath, ou la saucisse-moutarde était Goliath, tandis que David était la petite lumière dans le gouffre obscur de son vide intérieur.
La conscience
La petite lumière de conscience qui lui disait que dévorer cette boîte de saucisses n’était pas la solution. Il resta immobile quelques instants. Ce qu’il ressentait était entre l’avalanche et le tsunami, le glissement de terrain et la chute de rochers accompagnés de hurlements. Ce monde intérieur n’en faisait qu’à sa guise… Il tint bon, encore quelques instants, presqu’étonné d’être toujours vivant dans ce chaos.
Alors il embraya, en image, sur ce qui lui donnait du courage dans la vie et une petite bouille de mulot joufflu lui apparut dans la lumière d’une aube estivale, quand le soleil se levait et chauffait doucement la campagne. Quand il avait déjà quelques rafales de clichés qui seraient autant de trésor à redécouvrir sur grand écran et qu’il s’émerveillerait de ces petites bêtes gourmandes. Il s’imagina ensuite sentir le soleil sur ses bras, sur son visage. Il s’imagina les parfums de la terre et de l’herbe, les bruits de la vie à ras du sol, dans les herbes hautes, le chant des oiseaux, et la saveur du café qui le débarrasserait de la fatigue de cette nuit de traque.
La paix
L’évocation était tellement forte qu’il en oubliait la saucisse qu’il tenait toujours du bout des doigts. Il la posa. Sa respiration s’était calmée, le chaos intérieur aussi. Zeus et Neptune avait fait la paix. Goliath était parti chercher un partenaire plus à sa taille…
Gabriel se sentait tranquille, apte à se nourrir plutôt qu’à dévorer. Il mordit dans la saucisse, détecta ses véritables saveurs. Ce n’était pas terrible, mais il n’avait rien d’autre à manger. Il faudrait qu’il pense à faire des courses. »
Conflit entre grandes puissances
Il est parfois surprenant de constater à quel point un geste anodin – comme piocher dans une boîte de saucisses cocktail – peut en réalité dévoiler un véritable champ de bataille intérieur. C’est précisément ce qui se passe dans le texte de fiction : Gabriel, le protagoniste, se retrouve en plein conflit face à une pulsion alimentaire. Il hésite entre croquer à pleines dents dans ces petites saucisses industrielles et résister à cette envie qui lui semble à la fois irrésistible et décevante. En un clin d’œil, il passe d’une quasi-transe (odorat en éveil, salivation, tension) à un état méditatif où des images de mulots et de campagne ressurgissent, lui redonnant peu à peu un sentiment de calme et de maîtrise.
Ce type de scène peut sembler banal, mais il recèle des trésors d’informations sur le fonctionnement du cerveau, du système nerveux et de nos réactions face à des compulsions de toutes sortes : boulimie de nourriture, besoin irrépressible de faire défiler son fil d’actualités, voire addiction plus intense à l’alcool ou à d’autres substances. Dans cet article, je vous propose non seulement de plonger dans les mécanismes psychophysiologiques qui rendent l’évocation d’images positives si puissante, mais aussi de découvrir un exercice concret pour mettre en scène (ou en écriture) vos propres pulsions, via un personnage de fiction. L’objectif ? Vous aider à desserrer l’étau de l’addiction par une approche douce, créative et pourtant très ancrée dans le réel.
Quand la fiction nous tend un miroir
L’un des premiers aspects frappant dans la situation de Gabriel, c’est la tension autour d’un petit morceau de nourriture. Il ne s’agit pas d’un grand festin gastronomique, ni d’une affaire de survie : juste une saucisse cocktail, un peu de moutarde, et pourtant un affrontement intérieurement perçu comme “Zeus et Neptune” ou “David et Goliath”. Cette exagération – parler de divinités pour illustrer une pulsion alimentaire – n’est pas forcément un effet purement stylistique. Sur le plan neurologique, c’est le reflet de l’intensité que peut prendre une envie lorsque notre système nerveux sympathique s’active.
En d’autres termes, l’ennemi n’est pas forcément grand aux yeux du monde, mais il l’est dans notre ressenti, car notre cerveau peut décréter que la situation est cruciale. Dans le cas de Gabriel, cette “crucialité” se traduit par une lutte intérieure qui sollicite le stress (accélération cardiaque, adrénaline, etc.). Cette même lutte s’apaise presque comme par magie quand il évoque mentalement un tout autre univers : celui de la nature, des mulots, de la chaleur du soleil et du café matinal. Il s’agit là d’un bel exemple du pouvoir de l’imagerie positive, qui détourne l’activation sympathique et fait basculer vers l’activation parasympathique, ce qui permet un état de calme et de recul.
Les 6 principes clés de l’imagerie positive
Avant de vous proposer un exercice concret, revenons rapidement sur les mécanismes physiques et physiologiques en jeu lorsque nous utilisons des images ou souvenirs agréables :
🔴 Activation du système nerveux parasympathique
L’évocation d’images positives déclenche une réponse de relaxation : respiration plus profonde, ralentissement cardiaque, baisse de la tension artérielle. On ressent alors un “déclic” de calme intérieur.
🔴 Réduction du stress (désactivation sympathique)
À l’inverse, les pensées anxieuses activent le système nerveux sympathique. Se plonger dans une scène sécurisante envoie des signaux que “tout va bien”, mettant fin à l’état d’alerte.
🔴 Régulation émotionnelle via l’ancrage sensoriel
Lorsque nous décrivons en détail la lumière, les couleurs, la texture, les odeurs d’une scène plaisante, le cerveau prend acte de ces messages sensoriels comme preuves de sécurité, calmant ainsi l’anxiété ou l’impulsivité.
🔴 Sécrétion d’hormones positives
Imaginer ou se rappeler un moment heureux déclenche la libération d’endorphines, ocytocine, sérotonine, liées au plaisir, à l’attachement et au bien-être, ce qui stabilise notre état émotionnel.
🔴 Inhibition des ruminations
Nos boucles de pensées négatives sont interrompues, car le cerveau est occupé à vivre une scène concrète, riche en sensations. Impossible de ruminer et de savourer un beau souvenir en même temps.
🔴 Neuroplasticité
Plus on répète cet entraînement, plus on renforce les circuits neuronaux du calme, ce qui facilite l’accès ultérieur à cet état d’apaisement.
Si on regarde Gabriel, c’est exactement ce qu’il se passe : un switch d’une pensée “saucisse-moutarde” à une plongée sensorielle dans la nature. Résultat : l’état de tension s’apaise, le combat intérieur s’étiole, et il se réapproprie son geste – cette fois sans compulsion aveugle.
Écrire pour mieux transformer : la puissance du personnage de fiction
Maintenant, abordons la partie la plus intéressante de cet article : comment utiliser ce même principe, mais en passant par l’écriture d’une scène fictive. Pourquoi la fiction ? Parce qu’elle offre une juste distance : si vous écrivez en “je” à propos de vos propres compulsions, il se peut que vous vous sentiez trop exposé, jugé par vous-même, et que cela freine votre exploration. En revanche, si vous créez un personnage proche de vous (même s’il s’appelle autrement, qu’il vit à une époque ou dans un univers légèrement différent), vous vous donnez la liberté d’explorer des émotions intenses avec un sentiment de sécurité renforcé.
Cependant, prenez garde à ne pas placer ce personnage dans une réalité tellement éloignée de la vôtre qu’il ne vous ressemble plus du tout. Le but est de garder un pont entre vous et lui : c’est là que la magie opère. On ne veut pas fuir la réalité, mais y accéder par un détour créatif et bienveillant. (Disclaimer: cet exercice est une exploration qui vous procurera sans doute des effets bénéfiques, mais ce n’est pas une baguette magique… 😉)
Exercice d’écriture pour désamorcer une pulsion addictive
Je vous propose ici un exercice concret, qui reprend les étapes-clés de l’imagerie positive, mais sous forme de récit. Le tout en s’inspirant de la structure suivante :
✒️ Identifier le moment-clé
- Commencez par décrire la situation où le personnage ressent la pulsion ou la compulsion.
- Donnez-lui un nom, un trait de personnalité, un contexte. Par exemple, “Hermione, qui après une journée de travail épuisante, ne rêve que d’un paquet de biscuits bien sucrés pour tenir jusqu’au dîner”.
✒️ Déclencheur et montée de la pulsion
- Décrivez ce qui précède la pulsion : l’émotion (stress, ennui, solitude), l’heure de la journée, la sensation corporelle.
- Mettez en scène cette tension initiale, en utilisant des termes concrets : palpitations, mains moites, impression d’être “happé” par l’odeur d’un aliment, ou par la petite notification sur le smartphone.
✒️ Pause et orientation sensorielle
- Hermione décide de faire une pause de quelques secondes (comme Gabriel qui stoppe son geste alors que la saucisse est à deux centimètres de sa bouche).
- Détaillez les sensations corporelles, l’émotion, l’environnement. Peut-être que Hermione remarque un léger bruissement des feuilles à sa fenêtre, ou la couleur d’un poster dans son salon.
✒️ Faire surgir l’image positive
- Introduisez dans votre récit la scène ressource du personnage. Il peut se souvenir d’une balade en forêt, ou imaginer un chalet idéal.
- Insistez sur les cinq sens : la couleur du ciel, la température sur la peau, le parfum de la terre, le bruit d’un ruisseau, la douceur d’un tissu sous les doigts.
✒️ Transformation de la pulsion :
- Restez dans ce moment où Hermione se plonge dans cette scène, sentez comment l’intensité de l’envie de biscuits se modifie. Décrivez l’éventuel apaisement, la respiration qui s’allonge, l’esprit qui s’éclaircit.
✒️ Décision consciente :
- Dans votre histoire, laissez Hermione choisir. Peut-être qu’elle prend tout de même un biscuit, mais avec moins de frénésie. Ou qu’elle opte pour une tisane, ou carrément un petit tour dehors.
- L’important est de montrer le changement d’état : Hermione n’est plus dominée par la pulsion, elle retrouve une forme de liberté de choix.
✒️ Clôture et bilan :
- Finissez l’histoire en notant ce que ressent Hermione à ce moment-là : moins de culpabilité, plus de légèreté, ou au contraire encore un peu de tension, mais la sensation qu’une brèche s’est ouverte.
La bonne distance : ni trop proche, ni trop éloigné
En mettant en scène un personnage, vous profitez du pouvoir de la fiction pour objectiver votre expérience. Cela vous permet :
- De révéler vos émotions, vos sensations, sans être complètement submergé.
- De prendre un léger recul, comme si vous lisiez un livre, tout en gardant assez de ressemblance pour que l’expérience vous concerne profondément.
Veillez simplement à ne pas fuir ce que vous ressentez derrière un héros ou une héroïne aux antipodes de votre vécu. L’idée n’est pas de créer un univers de fantasy qui n’a plus rien à voir avec vos tracas quotidiens, mais de teinter votre personnage de suffisamment de vous-même pour que l’identification opère. C’est un équilibre subtil, mais il est très efficace pour transformer nos schémas internes.
Et concrètement, pour quelles addictions ?
Cette méthode peut s’appliquer à toutes sortes de comportements addictifs ou compulsifs : trop manger, consommer des boissons alcoolisées de manière excessive, scroller sans fin sur les réseaux sociaux, et bien plus encore. À chaque fois, le principe demeure identique :
🍀 Repérer le moment et la sensation où la pulsion naît.
🍀 Faire une courte pause pour respirer et observer.
🍀 Se plonger dans un souvenir ou une scène imaginaire agréables.
🍀 Rester dans cet état suffisamment longtemps pour apaiser la tension.
🍀 Revenir à la réalité et choisir une action plus réfléchie, si possible sans culpabiliser outre mesure.
Le secret de la répétition et de la bienveillance
Comme pour toute pratique de changement, la régularité est votre meilleure alliée. Répétez l’exercice autant de fois que nécessaire, et pas seulement au moment de la pulsion. Par exemple, vous pouvez prendre quelques minutes chaque soir pour écrire une petite scène où votre personnage expérimente une tentation, puis appelle à lui son image ressource. Au fil des jours, vous verrez se dessiner dans votre propre esprit un schéma de résolution de plus en plus naturel : face à un pic d’envie, votre cerveau aura progressivement enregistré la “sortie de secours” vers le calme et la régulation.
Soyez également indulgent.e envers vous-même : si, parfois, la pulsion reprend le dessus, rappelez-vous que le travail sur les connexions neuronales est un processus. Chaque petit succès, même partiel, renforce le chemin du bien-être. Chaque “échec” peut être l’occasion d’analyser un peu plus finement vos déclencheurs et d’améliorer la mise en scène (ou l’écriture) de votre exercice.
Le mot de la fin
Vous l’aurez compris, l’imagerie mentale positive n’est pas seulement un concept abstrait. Elle s’appuie sur des bases physiologiques solides : activation du système parasympathique, diminution du stress, sécrétion d’hormones du bien-être, inhibition des ruminations, et neuroplasticité qui permettent d’ancrer de nouveaux réflexes de calme. En adoptant une approche d’écriture fictionnelle, vous créez un espace ludique, sécurisé et personnel pour expérimenter ces principes. À travers un personnage qui vous ressemble juste assez (mais pas trop), vous pouvez apprendre à reconnaître vos pulsions, à les calmer, et progressivement à transformer votre rapport à l’addiction.
Faites l’essai : inventez votre propre “Gabriel” ou “Hermione”, confrontez-le aux tentations quotidiennes qui vous hantent, laissez-le plonger dans une scène ressource… et observez l’apaisement qui se crée en vous. Au fil du temps, vous constaterez que les scénarios ne sont plus seulement écrits sur le papier : ils deviennent votre réalité intérieure. Et là, c’est la victoire sur Goliath ou la paix signée entre Zeus et Neptune.
Épilogue
Alors, comment s’est passée votre exploration ? Dites-moi tout en commentaire ⬇️


2 commentaires
Jackie
Un texte captivant qui illustre avec une puissance métaphorique le combat intérieur face aux pulsions et aux addictions. La manière dont tu mêles la transe, la conscience et la paix pour décrire ce voyage émotionnel est intéressante. Cette évocation de la lumière intérieure, des souvenirs apaisants et de la nature comme refuge est une véritable ode à la résilience et à la transformation. Cela résonne profondément et inspire à trouver la sérénité au cœur du chaos.
Caroline
Merci pour ton commentaire, Jackie. En effet, les évocations heureuses changent notre état mental. Il faut juste y penser à temps avant de céder à l’addiction, et ça c’est parfois un vrai combat! 😉